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chapitre IV : une stratégie thérapeutique



III L’inclusion sonore dans le bureau de l’analyste bioénergéticien : quelques aspects de stratégie thérapeutique.

 

Les observations qui précèdent m’invitent à différencier "audition" et "écoute" dans la relation à mes patients.

 

Il s’agit en effet d’un côté d’entendre, de percevoir avec finesse les inflexions qui font de la voix d’un sujet, et à son insu le lien maintenu avec tous les événements superposés de son histoire, événements relevant du processus primaire et identifiables dans la vocalité, dans le phrasé, dans la musicalité, qui enrobent son discours. Il s’agit de l’autre de dénouer par l’écoute les significations liées à ces éléments superposés qui vont peu à peu se manifester de manière coordonnée dans son langage, en d’autres mots, "faire corps" avec ce qu’il dit de lui.

 

Ce projet du psychothérapeute psychocorporel qu’est l’analyste bioénergéticien n’est pas aussi évident qu’il n’y parait. En effet :

 

J’émets d’abord l’hypothèse de ce que je pourrais appeler le "primat implicite de l’oreille " sur le "primat explicite de la vision" dans ce type de thérapie. Qu’est-ce à dire, sinon que l’Analyse Bioénergétique, par exemple, bien qu’intéressée à la personne prise dans sa globalité corporelle, induit un travail qui privilégie l’ordre de la vision.

 

La formation de l’analyste bioénergéticien met en évidence la nécessité d’une "lecture du corps". Cette lecture du corps n’exclut certes pas l’"écoute de la voix". Mais je suis tentée de penser que l’importance de la voix pour un analyste bioénergéticien "va souvent de soi", c’est-à-dire qu’il perçoit intuitivement les caractéristiques de tonalités affectives données par le patient, qu’il perçoit globalement la personne tant dans sa motilité que dans son expression vocale, qu’il perçoit la voix dans la gestalt d’ensemble du sujet, mais qu’il ne la "lit" pas en tant que telle. [1]

 

De même qu’"il va de soi" qu’une mère "suffisamment bonne" adopte spontanément un "babytalk" avec son bébé et "palatise" son expression, de même il irait de soi que l’analyste bioénergéticien trouve le bon niveau d’échange vocal avec son client.

 

Pourtant, si l’analyste bioénergéticien agit avec l’intuition d’une mère, va-t-il jusqu’au bout de la créativité de cette mère au plan vocal ? Il me semble que non.

 

Tous les analyste bioénergéticiens sont bien entendu capables de différencier une expression de voix agressive, d’une expression de voix mielleuse ; une expression de voix emprunte de pleurs, d’une expression joyeuse, etc...

 

Ce que je veux souligner et interpeller, c’est par exemple, que tous les analystes bioénergéticiens ont appris à chercher avec leur patient la bonne distance supportable pour regarder son interlocuteur ; qu’ils ont tous appris à percevoir la différence de tonalité émotionnelle d’un oeil à l’autre ; qu’ils ont tous appris à exprimer par leurs propres yeux ces intensités émotionnelles de sorte à pouvoir utiliser cette potentialité à un moment ou l’autre du développement du transfert du patient, et mobiliser des affects près à affleurer chez celui-ci ;   tandis qu’ils n’ont guère été entrainés (en tout cas, je ne l’ai pas été) à jouer de leur voix sur tous les registres (comme peuvent le faire des centres d’entrainement d’acteurs ou de comédiens) en sorte d’user là aussi d’intensités d’échanges multiples. [2]

 

Pourquoi ? Comment ?

 

La régression ouverte par le dispositif de la cure et par les inductions du thérapeute, donne la possibilité de reprendre, remanier, réorganiser des schèmes idéomoteurs de l’enfance. Le corps ouvre ses pistes et indique les failles. Lorsque l’angoisse surgit, l’analyste bioénergéticien qui possède un bagage d’observation des schèmes sensorimoteurs et d’expérimentations peut proposer des équivalents de schèmes sensorimoteurs d’enfant. Il prète alors son appareil psychique, sa compréhension, son "interprétation" de la situation vécue, et met les mots qu’il puise lui-même au réservoir commun du code collectif.

 

Montrer combien cette attention intuitive, et empathique du thérapeute est intéressante pour rencontrer la personne "là où elle est", lui permettre une régression, et l’intégration de nouvelles inscriptions positives, est une chose ! Montrer combien la maîtrise de cette dimension est utile pour en user plus souvent, et plus adéquatement entre autre au-delà de cette "inclusion sonore" spontanée, est autre chose.

 

Du point de vue de la voix, pour qu’elle se charge, s’incarne, s’intensifie, s’unifie, s’"accorde" et pour que l’écoute du sujet s’améliore s’ouvrant à la fois plus sur soi et sur l’autre (les autres), il y a, me semble-t-il à porter attention plus spécifiquement à la "résonance" vocale du thérapeute par rapport à son patient.

 

Je n’ouvrirai que deux pistes selon l’évolution du transfert et de la relation thérapeutique :

 

- la première intéressante dans les moments de forte régression et d’instauration de l’expérience d’une relation de confiance et ludique est centrée sur la voix du thérapeute.  

Nous savons combien notre voix, dans sa musique intonatoire autant que dans ce qu’elle exprime en mots, a d’importance pour le patient ; combien et comment elle l’"inclut", peut l’inciter à régresser dans un contact physique proche et peut accompagner ce contact physique proche : être pris dans les bras par exemple, tout en étant "enveloppé" d’une berceuse ou d’un chant musé.

 

Nous savons moins qu’un travail distancié, rien que par la mélodie de la voix, en dehors de toute expression verbale et physique du thérapeute, peut aussi induire une proximité et un contact chaleureux, non intrusif et régressif. Une multitude de sons sont possibles. De jeux avec la bouche et la langue, de résonance aux sons produits spontanément et presqu’inaudiblement par le patient.

 

C’est particulièrement intéressant dans le cas de personnes qui ont vécu des intrusions physiques envahissantes et n’ont pu expérimenter dans la distance une présence chaleureuse non intrusive et enveloppante.

 

Ce l’est aussi dans le cas de personnes qui ont dû se développer dans le silence..., de ceux dont l’oreille a été blessée par les hurlements d’un parent, d’un frère ou d’une soeur "fou", etc...

 

Dans d’autres cas, il peut être question de lalalisation reproduite, un jeu de bruitages repris en résonance de l’un à l’autre qui peut servir à ouvrir l’imaginaire sonore. Souvent d’abord dans une répétition des mêmes sons, puis dans une composition sonore en dissonance, qui joue des voix dans une résonance différente pour que se saisisse la différenciation thérapeute/client.

 

Le thérapeute prête son appareil psychique comme le ferait une mère pour développer un plaisir commun. Et, bien sûr, il n’est pas seulement là question du "aaah" qui ouvre et accompagne la respiration dans toute pratique bioénergétique. Toutes les notes de la gamme, toutes les voyelles, toutes les consonnes, peuvent être explorées et sollicitées.

 

- la seconde est centrée sur la voix du patient. Il s’agit ici de stimuler la personne à émettre des sons de différents niveaux sonores ; de chanter le cas échéant, d’augmenter le volume du "bruitage" qui accompagne les mots exprimés. Généralement réémergent alors des évocations sonores comme enfermées dans la voix : au-delà des expressions agressives ou de pleurs que nous identifions facilement, peuvent survenir des évocations "gelées" jusque là dans la voix : "j’ai la même voix que ma mère, et je déteste cela ;" "j’entends le râle de mon grand-père, c’est drôle... c’est terrifiant", "ça me rappelle quand j’étais malade et qu’on me mettait dans le bureau de mon père ; j’entendais sa respiration... j’ai la même respiration que lui quand je muse comme ça..."

 

Il est possible que des sons soient restés brutes dans l’inconscient et qu’ils n’aient pas eu de possibilités d’accès à une représentation de "choses", ni donc de "mots". Il faut l’occasion d’une "représentation de "sons" perçue par l’oreille de quelqu’un d’autre pour accéder à un sens. L’encouragement à faire chanter ou produire des sons en tous sens, ou à reproduire les sons, la "musique" en dehors des mots va vers cette réappropriation de soi et vers une parole vraiment investie.

 

Ceci peut paraitre banal. Je pense cependant que c’est une piste supplémentaire à explorer en analyse bioénergétique.

 



[1] La voix est souvent travaillée en AB en continuité de la motilité physique et respiratoire de la personne ; elle n’est pas retenue en tant qu’elle-même. Elle accompagne un mouvement, elle ouvre sur une émotion et contribue à l’exprimer.

[2] Il est assez surprenant pour moi, de me rendre compte, que la psychanalyse par le dispositif qu’elle met en place dans la cure privilégie cet aspect du corps à corps du patient et de son analyste par le medium quasi exclusif de la boucle voix/oreille, plus que ne le fait, sauf attention particulière, l’analyse bioénergétique.

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