II La voix, réalité nécessairement psychocorporelle d’ordre transitionnel.
par B. Bailleux
Dans la description du phénomène : "voix humaine", on est d’emblée amené à s’apercevoir que l’observation physicoacoustique est indissolublement liée à l’observation psychique.
D’un point de vue anatomophysiologique, pour qu’il y ait voix [1], il faut un générateur de sons représenté par le larynx, et plus précisément par les cordes vocales qui se mettront à vibrer et à s’étirer sous l’impulsion d’une énergie représentée par le souffle expiratoire, et grâce à des "modulateurs" représentés par les cavités de résonance supraglottiques.
En quelque sorte, la voix est le son produit par un "instrument (au sens musical du terme), comportant cordes et caisse de résonance.
L’observation suppose donc un appareil phonatoire, il suppose également un appareil auditif, susceptible de recevoir le son et de l’interpréter.
Donc qui dit voix, dit oreille. La voix et ce qu’elle exprime n’a de sens que parce qu’il y a oreille : son oreille à soi, ("je m’entends de l’intérieur"), et l’oreille de l’autre ("vous pouvez m’entendre").
Mais justement le fait de l’oreille de l’autre nous invite à saisir que la voix se présente comme un prolongement( ?) corporel de type très particulier qui vient résonner à l’oreille d’autrui non seulement comme un ensemble de bruits (activation de la cochlée et des cellules cilliées), mais comme un effet de langage, plus particulièrement d’un langage sonore, qui se manifestera par moment dans une parole, toujours porteuse de significations. [2]
Les aspects physicoacoustiques liés à la valeur énergétique d’un son (toute communication par des objets sonores implique une pulsion énergétique caractéristique) sont toujours intimement imbriqués dans une valeur symbolique de communication.
Pour l’oreille humaine, tout son a valeur de signification. Et ceci dès avant la naissance.
La voix en tant que réalité sonore, s’indique d’emblée comme une réalité "transitionnelle" de soi à soi et de soi à l’autre, au sens purement physicoacoustique du terme, (un son transite d’un appareil phonatoire à un appareil auditif) mais aussi comme réalité "transitionnelle" au sens Winnicottien du terme, en cela qu’il est un activateur essentiel des investissements de l’imaginaire. (Pensons aux effets d’écoute d’airs musicaux, les yeux fermés.)
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Comment cela ?
La voix apparait dans ce cri poussé par l’enfant à la naissance. Elle apparaît avec le premier souffle. Ce premier souffle, bruyant, indiciel, au sens sémiologique, indique que le foetus accède au monde des vivants comme être physiquement séparé, être perceptible comme entité propre. Il présente un corps aux limites finies, marquées par une enveloppe : sa peau. Il est désormais identifiable, nommé, mais pas encore "identité" personnelle.
Une première remarque peut être soulignée d’emblée : ce cri, cette "première déclaration" comme dit IMBERTI, nous interpelle en tant qu’analystes bioénergéticiens ou reichiens, puisqu’il imprime tout de suite le schéma contraction-détente, charge-décharge de l’appareil respiratoire, dans un mouvement spastique impressionnant, mouvement spastique qui sera réactualisé de façon de plus en plus complexe tout au long de l’existence. Une accumulation d’énergie dans la première inspiration pour une expulsion subite d’un son dans la première expiration. Et toutes les altérations de la respiration viendront altérer l’expression vocale, le geste vocal. Jusqu’à ce moment ultime où l’on perdra la voix lorsqu’on "rendra son dernier souffle"...
La voix accompagne typiquement la vie du corps séparé.
Deuxième remarque liée à la première : ce premier cri est donc aussi l’indice de la coupure physique d’avec la mère, de la séparation définitive de ce lien au corps de la mère, qui contenait, retenait, reliait par le cordon ombilical. En même temps que ce cordon ombilical est rompu s’inscrit tout de suite un autre type de lien, un autre type de cordon, plus immatériel, celui de la voix. La voix devient en quelque sorte un cordon ombilical symbolique.
Rappellons-nous que comme foetus, l’être humain n’a pas la possibilité -ni peut-être le besoin- de se manifester par la voix. Il peut bouger, il peut entendre, il peut percevoir des lueurs, goûter, toucher et ressentir le toucher... La voix dès la naissance, devient le phénomène par excellence du rapprochement et de la recherche du lien dans la séparation.
Troisième remarque toujours liée aux précédentes : inclusion sonore prend le relais de l’inclusion par le ventre maternel. Et cette inclusion demeurera tant qu’il y aura à la fois oreille et voix. [3]
Donc au-delà de l’aspect purement physique de la mise en route de la pompe respiratoire qui se libère dans un cri, comme le souligne Denis Vasse, la voix est tout de suite un signal porteur de sens, parce que l’entourage va d’emblée inscrire ce cri dans un univers de sens, d’interprétations. Et ce cri est le prélude bien sûr d’une multitude d’autres bruits produits par l’organe phonatoire, bruits qui très vite trouveront un sens entre les interlocuteurs mère-enfant-entourage du fait de la résonance, de la réponse émotionnelle que cet entourage apportera à ces bruits, mouvements vocaux de l’enfant.
Plusieurs auteurs soulignent dans cet esprit, comment la voix devient de ce fait une réalité à considérer comme une réalité en permanence "transitionnelle". Elle répète à chaque profération d’un son, l’appel à une reliance physique au corps de l’autre.